Au réveil, à midi. Je suis vaseuse, Alex un peu moins. Sous nous, Nico est fatigué et Marion a les tripes retournées. On ouvre le reste de notre bouffe, on comprend les malaises de Marion, on comprend moins comment on a pu manger ça hier. Marion est tellement dérangée qu'on ne part qu'à 14h, quand un employé de l'hotel nous demande gentiment de laisser son personnel changer les lits. On sort de l'hostel, le soleil fait mal aux créatures de la nuit que nous sommes devenues. Le trajet est long et difficile, le mal d'hier veut s'échapper par en-haut chez moi, par en-bas chez Marion, vive la France mes chers! Les trajets en métro derrière nous, on s'apprête à monter dans le bus de retour pour notre trou isolé en campagne, lieu de plénitude. On a normalement 40min de trajet devant nous. Assise à l'arrière, je me suis mise près de la sortie en prévoyance d'un malaise incontrôlable qui pourrait venir. Les à-coups de la conduite en ville, l'état des routes chiliennes, la chaleur et le manque d'air commencent à avoir raison de mon estomac. Mon estomac joue à l'ascenseur, je prie pour qu'il ne monte pas jusqu'en haut. Je me sens si mal, je rassemble mes forces pour attacher mes cheveux par prévoyance. Alex, frais comme un gardon en comparaison à nous, me tend un sac en plastique qui trainait dans sa poche que je tiens, résignée à en faire usage. Le bus se remplit petit à petit, un mec monte avec une bière et s'installe à côté d'Alex, il salue d'autres personnes, bonne ambiance à laquelle je suis imperméable. D'autres gens montent, se servent de la bière, comme si ils n'avaient pas profité d'hier. Les relents d'alcools accroissent mon malaise. Le mec à la bière à côté d'Alex (appelons-le Pepito), visiblement saoûl, hèle le mec à la bière, qui est noir, pour qu'il partage sa bouteille. Lequel refuse, Pepito insiste, l'ami de Pepito monté plus tôt avec sa famille lui dit que c'est bon, qu'il a assez bu. Pepito commence à s'enflammer, à insulter le père de famille qui était visiblement son ami, à les traiter de tous les noms. Là-dessus, une femme peu raffinée à la poitrine imposante se plante devant Pepito et lui dit d'arrêter ses conneries. On comprend alors qu'elle est de sa famille. Il l'insulte elle aussi. Ni une, ni deux, elle lui flanque une tarte solide du plat de la main qui retentit dans tout le bus. "Et merde, pensai-je, bagarre dans le bus, je vais leur gerber dessus à coup sûr." Mais non, l'homme ne rend pas l'outrage mais continue de l'insulter, deuxième tartasse, puis troisième. Une petite vieille femme à qui il ne reste que deux dents, la grand-mère, s'interpose alors: "arrête tes conneries, tu vas nous faire jeter du bus, Pepito! T'es un désastre quand tu bois". Elle prend sa bière et la vide dans le bus, à mes pieds. Hummm émanations d'alcool qui mettent à mal mes efforts pour garder mon mal à l'intérieur. Le ton continue à monter entre les deux familles, Pepito continue à vociférer, ignorant le conducteur qui lui dit de sortir et les voyageurs qui commencent à s'énerver. Tout le monde hurle dans le bus, les enfants commencent à pleurer, le conducteur fait demi-tour sur la route, se prend des bordures au passage, racle le ventre du bus, direction le commissariat le plus proche. Devant Marion, un enfant, le fils de Pepito, pleure, mord et frappe le fauteuil de rage, comme s'il s'en voulait de ne pouvoir rien faire. Dérapage devant le commissariat, les policiers se tâtent la nouille pour sortir Pepito, il faudra que l'un deux reçoive un coup pour qu'ils bougent. Toute sa famille descend. Devant ce drame, qui ressemble à une scène de film, fatiguée ou choquée, je commence à rire nerveusement. Heureusement Alex m'engueule et je me reprends avant que quelqu'un ne me voie. Les enfants en pleurs disent au revoir aux enfants de l'autre famille. Pepito a gâché le premier jour des vacances de sa famille, plein de gens de la ville viennent passer les vacances le long du fleuve Maipo. L'autre famille reste dans le bus et nous montre des photos de là où ils vont. Quand on pense qu'on est bientôt arrivés, c'est dans un embouteillage que l'on tombe, heureusement, du choc, mes intestins sont devenus raisonnables et je suis moins à risque. De son côté, Marion tient bon elle aussi. On arrive enfin au village, on remonte à pied, la dernière ligne droite. Au total, on aura mis 4h à rentrer. Pfiou! Si c'est ça 2017, on aurait mieux fait de rester en 2016!